Cabinet Boudot
Classement GQ

Présentation de l’affaire dite des prothèses PIP

L’affaire dite des prothèses PIP (du nom de la société mise en cause : Poly Implant Prothèse) est une des plus vastes affaires de santé publique jamais jugées en France. Des dizaines de milliers de victimes de par le monde, 7 113 femmes originaires de 71 pays constituées parties civiles au procès, accompagnées par plus de 300 avocats, 4.800 m2 aménagés et une salle d’audience construite pour l’occasion au parc d’exposition CHANOT à Marseille, un mois d’audience : le procès des prothèses PIP était un procès assurément hors norme.

Les faits

Si cette affaire de santé publique était d’une extrême complexité sur un plan scientifique, les faits peuvent en être résumés simplement. La Société Poly Implant Prothèse, fondée et dirigée par Monsieur Jean-Claude MAS, fabriquait depuis le milieu des années 2000 des prothèses mammaires. Le 22 mars 2010 l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (ci-après nommée AFSSAPS) saisissait le Procureur de la République, dénonçant des faits « paraissant relever de l’escroquerie, de la tromperie, du faux et usage de faux et de la mise en danger de la vie d’autrui ».

L’enquête de police diligentée allait révéler qu’une partie importante des prothèses produites et commercialisées par la société PIP contenait un gel qui, contrairement à ce que prétendait la société, n’était pas un des gels de silicone homologués permettant le marquage CE et la commercialisation d’un dispositif médical, mais un gel fabriqué par la société PIP elle-même, à moindre coût, et qui n’avait jamais fait l’objet d’une procédure d’homologation. Il semblait par ailleurs que les prothèses PIP étaient sujettes à plus de ruptures de leurs enveloppes que les autres, avec pour conséquence que le « gel PIP » se déversait alors dans le corps des femmes qui les portaient, certaines pour des raisons esthétiques, d’autres plus fragiles pour des raisons médicales et notamment des reconstructions après des ablations dues au cancer du sein.

L’affaire générait une très grande émotion, ainsi qu’une grande inquiétude sanitaire. Les victimes se constituaient en associations, et le Procureur de la République responsable du Pôle santé publique du Tribunal de Grande Instance de Marseille (seule juridiction française avec le Tribunal de Grande Instance de Paris à posséder un pôle spécialisé en matière de santé publique) décidait de saisir directement le Tribunal Correctionnel du délit de tromperie aggravé par la mise en danger des personnes, sans passer par l’étape habituelle dans des dossiers si techniques de l’information judiciaire – une telle information judiciaire, toujours en cours en 2020, étant par ailleurs ouverte sous les qualifications de blessures et homicides involontaires.

Les cinq cadres dirigeants de la société PIP au moment où l’affaire éclatait se voyaient ainsi poursuivis devant la juridiction correctionnelle spécialisée, dont Madame F., directrice qualité de cette société, qui demandait à Me Jean BOUDOT de l’accompagner dans cette épreuve et d’assurer sa défense.

Les procès

Cette affaire présentait de réelles difficultés. Il est très habituel pour un avocat pénaliste d’être confronté, au travers de sa matière, à des situations qu’il ne connaît pas – tel processus de production nécessaire à appréhender pour comprendre l’origine d’un accident du travail, tel processus de mise en œuvre d’un hélicoptère militaire pour comprendre les raisons d’un crash etc. Rarement, toutefois, le cabinet avait été confronté à un tel niveau d’effort pour comprendre, scientifiquement et mécaniquement, les processus de production d’un gel en silicone, la composition des chaînes microscopiques qui le composent et dont la nature varie en fonction des matières premières utilisées, les interactions de ce gel avec la membrane qui forme l’enveloppe de la prothèse, les processus scientifiques d’évaluation et leurs limites, l’efficacité, ou non, d’une « couche barrière », les mécanismes inévitables de transsudation, la manière dont est établie la cytotoxicité, la génotoxicité ou le caractère irritant d’un gel, etc.

Or cette approche scientifique était essentielle dans ce dossier. La défense de Madame F. consistait en effet à reconnaître, sans discussion, l’existence d’une tromperie – il était incontestable que le gel n’était pas homologué – mais en même temps à contester que celle-ci ait pu mettre en danger les personnes. Cela conduisait le cabinet à combattre sur le terrain scientifique les griefs consistant à affirmer que ce gel était à l’origine d’un taux de rupture ainsi que d’un taux de transsudation supérieur à la moyenne des implants mammaires, et qu’il présentait par ailleurs une certaine toxicité.

L’adversité était d’autant plus grande que la présentation médiatique de cette affaire, empreinte parfois de trop d’émotion et de trop d’approximations, était souvent d’un simplisme déconcertant : le gel n’était pas homologué, le taux de rupture des prothèses PIP était manifestement supérieur à la normale, donc la composition de ce gel maison était à l’origine de ce taux de rupture…

En réalité l’analyse était beaucoup plus complexe que cela. Des études scientifiques démontraient que le gel ne présentait pas de caractère toxique (notamment le rapport du National Health Service publié le 18 juin 2012), et il était par ailleurs tout à fait contestable de prétendre que le taux de rupture des prothèses PIP était sensiblement supérieur à ceux d’autres marques d’implants. Ainsi, l’ANSM publiait au mois d’avril 2013 un rapport intitulé « Les prothèses mammaires implantables PIP – état des lieux », faisant état d’un taux de rupture de 14 à 15%, ce qui correspond au taux de rupture constaté des prothèses de marque MENTOR (rapport NHS précité). Au surplus, un biais de raisonnement était mis en évidence à l’audience : les porteuses de prothèses PIP ont fait l’objet d’explantations préventives massives ayant conduit à la découverte de micro-ruptures jusque-là indétectées, le taux de rupture s’en trouvant nécessairement affecté quand pour les autres marques d’implants mammaires de telles explantations n’avaient pas eu lieu. Enfin, il apparaissait que si ce taux de rupture était en effet anormal concernant les enveloppes des prothèses dites microtexturées, cette situation était due, non au gel PIP, mais à la méthode utilisée au sein de la société PIP pour créer cette microtexturation (projection de grain de sucre de forme prismatique et non ronde, ce qui avait pour conséquence de créer des microfissures dans l’enveloppe). Autrement dit, quand le taux de rupture, pour un type particulier de prothèses uniquement, était effectivement anormal, la cause se trouvait dans le mode de fabrication de l’enveloppe, aucunement dans la composition du gel qui la remplissait.

Dans une audience particulièrement tendue, la défense parvenait en grande partie à faire entendre ces arguments. Le Tribunal condamnait certes l’ensemble des prévenus pour l’infraction qui leur était reprochée, mais en concédant que « la toxicité du gel PIP n’était pas, en l’état actuel des investigations effectuées, clairement établie », que « force est de constater que le taux de rupture des implants PIP donne lieu à des développements contradictoires dont il est, en tout état de cause, difficile de tirer des conclusions certaines et péremptoires », qu’en « toute hypothèse conviendrait-il encore que soit établi un lien entre les ruptures et la fraude commise. Or la défense fait valoir à juste titre que lorsqu’un taux de rupture croissant a été constaté en 2007 pour les prothèses microtexturées, les recherches ont été orientées sur l’amélioration des propriétés mécaniques des enveloppes », ou encore que « force était de constater qu’aucun lien n’avait pu être scientifiquement établi entre transsudation et rupture de l’enveloppe [et que] l’influence du gel de remplissage sur la transsudation n’était à ce stade pas clairement établie ». Autrement dit, et contrairement à ce qui avait été soutenu et affirmé dans et hors la salle d’audience, la dangerosité du gel PIP n’était aucunement démontrée.

Pour le Tribunal, le risque sanitaire résultait finalement, non du gel incriminé lui-même, mais des opérations d’explantations préventives des implants réalisées en raison du mensonge portant sur la non homologation du gel qui les remplissait et de l’inquiétude qui en résultait (explantation que la France était un des deux seuls pays au monde à avoir ordonné…).

Surtout, le Tribunal refusait de prononcer contre la directrice qualité de la société PIP l’interdiction d’exercice professionnel requise par le ministère public. Ce choix démontrait qu’au-delà des arguments scientifiques développés, la défense de Madame F. avait été entendue dans les explications apportées quant aux circonstances qui avaient pu conduire celle-ci aux défaillances constatées, tout en essayant de faire évoluer cette société vers un retour à une situation réglementaire acceptable, étant ici rappelé que si seuls cinq cadres ont été poursuivis, tous les salariés de cette société, sans exception, étaient parfaitement informés de la situation de fraude réglementaire dans laquelle celle-ci se trouvait depuis des années.

Le 12 mai 2014, le SCENIHR, comité scientifique européen sur les « risques sanitaires émergents et nouvellement identifiés » reprenait de très nombreuses études réalisées à travers le monde sur les implants mammaires PIP, et concluait son étude ainsi (traduction abstract) : « il n'y a aucune preuve fiable que les implants PIP rompus créent un risque pour la santé supérieur à un implant mammaire en silicone rompu d'un autre fabricant (…). Il n'y a actuellement aucune donnée convaincante, médicale, toxicologique ou autre pour justifier le retrait systématique des implants PIP intacts », confirmant que le Tribunal – et la défense – ne s’étaient pas trompés dans l’analyse scientifique faite de cette affaire.

Le 2 mai 2016, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence confirmait cette décision.

Epilogue

Affronter cette procédure hors normes était pour le cabinet riche d’enseignements. A l’effort fait pour s’approprier les connaissances scientifiques nécessaires pour pouvoir convenablement défendre, s’était en effet ajoutée une série de discussions procédurales techniques (question prioritaire de constitutionalité, requête en nullité, requête en suspicion légitime), ainsi que la gestion d’une audience particulièrement tendue entre avocats de la défense et certains des avocats des parties civiles, le tout sous un projecteur médiatique dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était peu favorable à la défense.

Le travail réalisé en défense par Me Jean BOUDOT a été mis en valeur dans un article de Madame Pascale ROBERT-DIARD, chroniqueuse judiciaire du journal Le Monde, intitulé « le beau métier de défendre », ou encore par Monsieur David COQUILLE, chroniqueur judiciaire du journal La Marseillaise.

Moins visible, mais pour un avocat si fondamentalement important : à la fin du procès en appel, qui s’est tenu dans une atmosphère plus raisonnable et plus apaisée, la présidente de la principale association de victimes des prothèses PIP a demandé à s’entretenir avec Madame F. Revenus dans la salle d’audience quelques minutes plus tard, leurs avocats trouvaient les deux femmes se tenant les mains et pleurant ensemble. L’œuvre de justice dans ce qu’elle a de plus remarquable, qui permet parfois la restauration du lien rompu, quand de part et d’autre de la barre l’on accepte de s’écouter. La scène était très improbable pour qui se rappelle de la violence inouïe des propos tenus par les parties civiles et certains de leurs avocats lors de la première audience. Elle a bien sûr pour origine la dignité et le courage avec laquelle Madame F. a affronté cette procédure, seule des cinq prévenus à avoir réellement assumé ses responsabilités. Elle a aussi pour origine la remarquable plaidoirie de Me Elsa LOIZZO qui, intervenant aux côtés de Maître BOUDOT, avait la difficile tâche de s’adresser aux victimes pour leur dire ce qu’en défense nous entendions de leurs souffrances, mais aussi ce que nous refusions d’entendre quand les accusations et reproches devenaient injustes ou formulés avec excès. Qu’elle en soit ici chaleureusement félicitée, et remerciée.

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