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L’OBS, Portrait : « Me Jean BOUDOT et le procès Barbarin : d’une certaine façon le prix des fautes a été payé »

L’AFFAIRE DE MA VIE (1/6). Avocat marseillais spécialisé dans les affaires de mœurs, Jean Boudot revient sur le procès de sa vie, celui du cardinal Philippe Barbarin, ancien archevêque de Lyon, où il défendait une des victimes du père Preynat.

Par David Le Bailly
Publié le 19 juillet 2020 à 14h00 Mis à jour le 29 juillet 2020 à 14h12

Le procès Barbarin s’est tenu en janvier 2019 devant le tribunal correctionnel de Lyon. Ce n’était pas seulement un cardinal que l’on jugeait, mais aussi une institution, l’Eglise, qui, trop souvent, avait fermé les yeux sur les crimes de pédophilie. Quatre jours d’audience, des témoignages bouleversants sur les agressions commises par le père Bernard Preynat, une émotion palpable, et le sentiment de vivre un procès exceptionnel dont les enjeux allaient bien au-delà de la personne de Philippe Barbarin. Mais comment distinguer le droit de l’émotion ? Comment canaliser la souffrance des victimes, regroupées dans l’association La Parole libérée, dans une action juridique légitime, quand le procureur avait estimé que le cardinal n’était pas coupable, comme elles le soutenaient, de ne pas avoir dénoncé les actes de Preynat ?

Pour porter la parole des plaignants, il fallait, en tête de file de la partie civile, un avocat méthodique, carré. Une tête froide, venue faire du droit et uniquement du droit. Cet homme, il s’appelle Jean Boudot. Il a 47 ans et exerce à Marseille depuis une vingtaine d’années. Taille moyenne, figure sympathique et avenante. Ce fils d’agrégés de lettres, issu d’une famille lyonnaise mais grandi à Clermont-Ferrand, a d’abord voulu être commissaire de police, puis procureur de la République. Son « côté psychorigide », dit-il en rigolant. Deux rencontres lui ont fait prendre un autre chemin : celles de l’avocat Frédéric Doyez et du professeur Yves Mayaud, qui l’initia aux subtilités du droit pénal. Deux hommes que l’on retrouvera eux aussi, par une extraordinaire coïncidence, dans l’affaire Barbarin, le premier au côté de Preynat, le second avec le cardinal.

Beaucoup de pressions

C’est dans son cabinet, près de la Canebière, que Jean Boudot nous reçoit, un dimanche de juin. S’il traite aussi bien d’affaires de mœurs que d’affaires militaires, le procès Barbarin est jusqu’à présent l’affaire de sa vie. « On ne voulait pas que ce procès soit une espèce de tribune médiatique, où l’émotion emporte tout, où le droit deviendrait quelque chose d’accessoire, dit-il. Le deal entre avocats de victimes était celui-là : on ne fait ce procès que si on pense que juridiquement on a raison. »

Boudot entre dans le dossier par hasard. « Une avocate lyonnaise, Nadia Debbache, est venue me chercher. Elle avait du mal à trouver sur place des pénalistes qui avaient envie de s’engager dans quelque chose qui, au niveau local, était très particulier, avec beaucoup de pressions, de regards, de propos dissuasifs sur le côté dangereux d’une telle action contre le cardinal. »

Après le non-lieu du parquet, elle veut lancer une citation directe, autrement dit une procédure qui assigne directement le cardinal devant un tribunal correctionnel, en court-circuitant le procureur et le juge d’instruction. Boudot n’y croit pas : « Dans un dossier aussi sensible, je pensais que cette action serait très difficile à porter, qu’elle générerait des hostilités de tous côtés, y compris de la magistrature, et qu’elle pouvait être contre-productive. »

Il change d’avis à la lecture du dossier. « Il y a une chose qu’on doit reconnaître au procureur de la République, c’est qu’il a permis aux policiers de faire une véritable enquête. Tous les protagonistes ont été entendus, des perquisitions ont été réalisées. Je ne voyais pas ce qu’une information judiciaire pouvait apporter. » Va donc pour la citation directe. Pour désamorcer les critiques, Boudot et ses confrères décident de faire profil bas avec les médias : « On ne voulait pas faire le procès du cardinal dans la presse avant le procès pénal. » La citation n’est pas communiquée aux journalistes. « On est arrivés au tribunal pour proposer un débat qui était juridique, technique. Evidemment, nos clients ont pris la parole et ça a été un temps très fort de l’audience, mais on voulait imposer l’idée qu’on n’était pas en train de faire du spectacle. »

Une posture intenable

Difficile cependant de faire abstraction du contexte, de la pression médiatique, et encore plus de la douleur de victimes qui, pour certaines, n’avaient jamais pris la parole publiquement. « C’était impressionnant de voir cette masse de garçons qui avaient été fracassés. Tous, d’une très grande dignité. » Parmi eux, Matthieu Farcot, un trentenaire qui vit à Marseille. C’est lui que Boudot accompagne. « Un garçon extraordinaire, dit-il. Il avait attendu le décès de sa mère pour parler. Pour elle, Preynat était plus qu’un prêtre, pratiquement un gourou. Elle lui avait fait baptiser leur appartement quelques mois après que Matthieu a été victime de ses agissements. »

Leur première rencontre a lieu début 2017. Farcot dévoile ses réserves, ses doutes. Il n’a pas envie de voir son nom et sa photo dans la presse. « Il était très réfléchi, se souvient l’avocat. Je n’ai pas cherché à le convaincre, simplement à le rassurer, à lui expliquer comment ça se passerait s’il s’associait à la procédure. »

Deux ans plus tard, le procès commence enfin. Après avoir lu une déclaration, les premiers prévenus refusent de répondre aux questions des parties civiles. Vient le tour du cardinal Barbarin, qui, dans un premier temps, observe la même attitude. L’homme d’Eglise, cependant, sent que quelque chose ne va pas. Ses avocats demandent une suspension. Pour les victimes, c’est une première victoire. « Tout le monde s’est rendu compte, à la réaction de la présidente et des parties civiles, que c’était une posture intenable, analyse Jean Boudot. Opposer un silence collectif dans un procès construit sur le silence de l’Eglise, c’était presque valider ce que nous étions en train de dénoncer. »

Barbarin finit donc par parler. A la barre, il nie avoir eu connaissance des actes de Bernard Preynat avant 2014. « Impossible ! », soutiennent les parties civiles. Une rencontre entre les deux hommes a eu lieu en 2010. Et Preynat a reconnu s’être confié au cardinal ce jour-là. Jean Boudot interroge le prélat : courtois mais déterminé, très pédago dans sa façon d’exposer les faits. « J’étais curieux de voir comment se positionnerait le cardinal, raconte-t-il. Il était décrit comme un homme très intelligent. J’ai été extrêmement surpris de son retour en arrière par rapport à des choses qu’il avait pu dire lors de ses auditions devant les policiers, notamment qu’il savait en 2010 que Preynat avait commis des agressions sexuelles. »

Pour Boudot, pas de doute : Barbarin ment. « Il fallait qu’on fasse attention, parties civiles, de ne pas être trop agressifs avec lui, de ne pas donner l’impression qu’on avait envie, pour parler très familièrement, de “se faire” Barbarin. Mais à l’inverse, il ne fallait pas non plus qu’on ait des timidités au motif que c’était le cardinal. On s’est tous dit : “Ce serait n’importe qui d’autre, on lui dirait que c’est un menteur.” » Le jour des plaidoiries, Boudot lance donc, de sa voix assurée et toujours très calme, cette phrase qui marquera le procès et sera reprise dans la presse : « Je dis, cardinal Barbarin, que vous êtes un menteur quand vous dites que vous avez appris en 2014 l’étendue des dégâts. »

Une décision surprise

A la fin du procès, l’ecclésiastique, pas rancunier, vient rejoindre Boudot et ses collègues de la partie civile. S’ensuit un aparté, détendu et souriant, sous les yeux des journalistes. « C’était un moment étrange qui tient à la personnalité imprévisible du cardinal, raconte l’avocat. Il est venu nous redire ce qu’il avait dit à l’audience : il n’avait pas perçu la souffrance des victimes et c’était très bien qu’un procès ait eu lieu. Il donnait l’impression d’être le témoin de ce qui venait de se passer, complètement distancié. On l’a accueilli de manière aimable. Je ne suis pas la victime du père Preynat, ni celle du cardinal Barbarin. A l’audience, on est totalement impliqués dans le combat que l’on mène. Mais quand l’audience est terminée, elle est terminée, et on n’a pas à avoir de combat personnel contre celui qui était en face de nous. »

Deux mois plus tard, le cardinal Philippe Barbarin est condamné à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les agressions de Bernard Preynat. La décision est une surprise, y compris pour les plaignants. « On avait prévu deux types de communications, se souvient Boudot. Barbarin relaxé parce qu’il n’a rien fait de mal et Barbarin relaxé à cause de la prescription. On était venus au tribunal en étant convaincus qu’on avait raison, mais tout aussi convaincus qu’on aurait du mal à gagner. »

La satisfaction est donc immense, mais de courte durée. Quelques mois plus tard, la cour d’appel casse la décision du tribunal correctionnel. Le cardinal Barbarin est relaxé. Il ne pouvait pas, estime la cour, se substituer à des victimes devenues majeures, « insérées familialement, socialement et professionnellement », pour dénoncer les faits dont celles-ci avaient été victimes. Les parties civiles sont évidemment déçues : par la relaxe, mais plus encore par l’argumentation de la cour d’appel. « On n’imaginait pas que la cour dise que quand un mineur victime d’agression sexuelle est devenu majeur, il n’y a plus d’obligation de dénoncer pour ceux qui en ont été informés. C’est la première fois qu’une juridiction française prend cette position qui est contraire à la jurisprudence », explique Jean Boudot.

Une œuvre utile

La cour d’appel dénonce en filigrane le risque de déposer plainte contre l’avis de la victime. « L’obligation de dénoncer n’est pas faite pour protéger la victime, reprend Boudot, mais la société. Celui qui ne dénonce pas un viol sur mineur permet au violeur de recommencer. » A la Cour de Cassation, désormais, de trancher. « Si la décision de la cour d’appel est confirmée, eh bien les victimes se débrouilleront comme elles le pourront. J’ai quand même du mal à imaginer que la Cour de Cassation valide une telle analyse. »

Quoi qu’il en soit, le procès Barbarin, d’une très grande tenue, n’aura pas été inutile. « Au-delà de l’affaire, on a posé un certain nombre de choses aux niveaux sociétal et juridique, qui méritaient de vraies réflexions. » Et l’avocat de citer les conventions entre le diocèse de Paris et le parquet de Paris qui conduisent à des dénonciations systématiques dès que des infractions sexuelles sont connues. Jean Boudot veut croire aussi que le regard sur les victimes a changé : « On ne se rendait pas compte à quel point il est difficile de parler, même des décennies après. Ces infractions fracassent tellement les gens… c’est faux de dire que parce qu’on a 40 ans, on peut dénoncer. Les témoignages entendus lors du procès ont fait comprendre les ravages de ces infractions et la difficulté de parler derrière. »

Malgré la relaxe de Philippe Barbarin, les victimes de Bernard Preynat ont donc pu sortir satisfaites de cette longue procédure. « Elles ont eu le sentiment que ce procès était une œuvre utile, et qu’il a conduit à la démission du cardinal. D’une certaine façon, le prix des fautes a été payé », explique l’avocat. Quant à son client, Matthieu Farcot, il est revenu à sa vie normale, « avec la même discrétion, la même humilité, dit Jean Boudot. Quelque chose s’est passé entre nous. C’est sans doute trop tôt pour parler d’amitié, mais on a un lien d’affection qui est devenu fort. » Et pour lui ? Ce procès a-t-il vraiment changé sa vie ? Pour cet homme que l’on devine assez pudique, la réponse n’est pas forcément facile. « Ce qui change, finit-il par dire, c’est le sentiment d’avoir porté quelque chose qui peut servir à beaucoup de personnes. Il y a une fierté, une satisfaction intellectuelle. Et le fait d’avoir osé faire une citation directe qui a conduit à la condamnation, puis à la relaxe mais à la démission du cardinal Barbarin, est quelque chose de très satisfaisant. On sort de là avec le sentiment du devoir accompli. »

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